Témoignages de vie à Calais

 

Calculette

Ils étaient dans la jungle plus de 6 000 en octobre dernier, formant ainsi en matière de population, la 3ème ville du Calaisis. Grâce aux départs volontaires dans les centres d’accueil et d’orientation (CAO), aux 1 500 places proposées dans les nouveaux conteneurs et aux 400 réservées aux femmes et aux enfants dans le centre Jules-Ferry, il devrait en rester aujourd’hui plus de 2 000 à patauger dans la boue de Calais. Sans compter ceux des camps dits « sauvages » (comme si les autres étaient civilisés!) de Tatinghem, Angres, Steenvoorde, Norrent-Fontes, Grande-Synthe, etc. Aux beaux jours, on sait que l’exode reprendra…

Pas de gaz lacrymogène

Toutes les nuits, parfois 2 000 à la fois, et même si les passages sont devenus très rares, les migrants essaient de monter dans les camions qui, sur l’A 16, se dirigent vers le ferry effectuant depuis le port de Calais la liaison avec Douvres. Si certains, moyennant finances, sont pilotés par des passeurs (chut, ne pas les évoquer à voix haute dans le camp car ils sont maintenant nombreux à comprendre le français), beaucoup d’autres, même des femmes seules avec leurs enfants, tentent leur chance individuellement. Tous risquent leur vie et beaucoup sont morts, percutés par un camion ou électrocutés après avoir pénétré dans l’Eurotunnel (dix entre juin et juillet 2015).

 

Eclats de vies

*Parce qu’elle est syrienne, les passeurs lui demandent 3 000 Euros pour rejoindre l’Angleterre. Pour une Erythréenne, c’est 700 Euros. Ni l’une ni l’autre n’ont de quoi payer.

*Elle est afghane. Elle vit seule avec ses quatre enfants dans une vieille caravane au milieu de la jungle. Prof à la fac de Kaboul, elle parle très bien anglais. Elle ne veut jamais rien demander. Ses voisins le savent. Quand il y a une distribution, ils lui rapportent toujours quelque chose pour manger.

 

*Elle est soudanaise, son mari est en prison. N’ayant plus aucune nouvelle de sa fille de 18 ans qui a été kidnappée, elle a fui avec ses deux autres filles de 15 et 6 ans.

 

*Pendant les vacances de Noël, une association a emmené des enfants qui n’étaient pas sortis de la jungle voir les illuminations de la ville. Heureux et surexcités, ils criaient dans la voiture, en farsi : « Biroun jungle! Biroun jungle! », « On quitte la jungle! On quitte le jungle! ».

 

*Elle a filmé son voyage en bateau et montre sur son portable les deux personnes malades qu’elle a vu jeter par-dessus bord. Elle ne se résout pas à effacer sa vidéo.

 

*Ce petit garçon est seul dans la jungle. Ses parents sont passés en Angleterre après l’avoir confié à un adulte. On n’en sait pas plus. Il a 4 ans.

 

*Elle a 7 ans, elle est kurde d’Irak et elle dessine. « Comment on dit ça en anglais ? » demande-t-elle à la traductrice en montrant une montagne, puis un arbre, puis une maison. « Et ça ? », dit-elle devant un gribouillis. Des barbelés. Sa parole se libère. Elle raconte le bateau pour 50 où ils se sont entassés à 100, les grandes personnes et les enfants noyés, les tirs à la frontière entre la Macédoine et la Hongrie, la peur dans un fossé, dans le camion. Elle ne pleure jamais.

 

* Mariame est avocate en Syrie. Son mari et son fils aîné ont été tués. Elle raconte que Daesh menace encore plus les femmes qui travaillent. De peur que son fils soit enrôlé elle s’est enfuie avec lui.

 

Extraits glanés dans le livre Bienvenue à Calais, les raisons de la colère

Actes Sud février 2016

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